Entretien avec Bruno Deniel-Laurent,
"coordinateur" de TsimTsoûm

Entretien publié dans La Presse Littéraire - février 2006

Louis Morel : A l'heure des blogs littéraire, de l'encombrement des offices, de la surcharge éditoriale, quand les kiosques et les librairies croulent sous le flux des mots, pourquoi, pour qui fonder une nouvelle revue ?

Bruno Deniel-Laurent : Je vous répondrai en toute immodestie : Nous avons fondé TsimTsoûm parce que TsimTsoûm n’existait pas, parce que je ne vois aujourd’hui aucun autre support capable de rassembler des écritures aussi souverainement singulières que celles de Costes, par exemple, Pierre Jourde, Laurent James, Eric Sardar, Sarah Vajda ou Frédéric Saenen. Puis Cancer! avait laissé un manque que nous ne pouvions laisser en jachère. Vous savez peut-être que la revue Cancer ! s’est auto-dissoute à l’occasion d’une OPA capitaliste, lorsqu’un vibrionnant admirateur de notre revue parvint à séduire l’un des animateurs de Cancer ! (« Son âme la plus faible », dixit Juan Asensio) afin de fonder avec ce dernier un magazine grand-public intégrant nos auteurs et notre « esthétique ». Cette trouble tentative de prédation, qui a d’ailleurs échoué, a eu le mérite de clarifier les choses : enfin débarrassés des pleutres ontologiques et de ces infirmes lunaires dont l’horizon se borne à vouloir ânonner quelques élégants petits textes nostalgiques, branchés et vains dans des magazines « culturels et sociétaux », nous avons enfin pu passer aux choses sérieuses. TsimTsoûm est né de cette salutaire clarification.

Louis Morel :  Etrange « barnum » que celui de TsimTsoûm, comment l'avez-vous recruté ? Quelles affinités électives, quelle stratégie l'ont formé. Soyez assez aimable pour les présenter ici sommairement.

Bruno Deniel-Laurent : C’est un barnum littéraire un peu bizarre, c’est vrai, où les boxeurs sont légion : Dominique Zardi, qui en plus d’être « l’acteur fétiche du cinéma français » est aussi directeur de la revue Euro Boxe Show (et entraîneur, dans les années 70, d’un groupe d’autodéfense juif dans le Marais), ou Pierre Jourde, dont on sait qu’il pratique assidûment la boxe anglaise. Il faut reconnaître que cohabitent en cette revue un sacré nombre de lascars dont la propension à distribuer de charitables bourre-pifs n’est plus à démontrer.

Plus sérieusement, je constate que beaucoup d’entres eux nourrissent des passions dévorantes pour les antipodes. Jean-Pierre Théolier, Eric Sardar vivent aujourd’hui en Asie. A l’heure où seront publiées ces lignes, je serai moi-même en vadrouille à l’autre bout du monde et d’autres rédacteurs de TsimTsoûm en auront fait autant.

Mais avant tout, il existe, me semble-t-il, un sentiment largement partagé par nos auteurs : celui de se sentir inclus dans un monde recomposé où l’état de neutralité n’est plus envisageable. Il ne s’agit pas là de se vautrer dans de piètres fantasmes paramilitaires ou dans cette martialité d’opérette qui attire aujourd’hui tant de trentenaires (extrême-)droitistes ; il convient, pour paraphraser Laurent James, de chercher « au tréfonds vibratoire de [notre] cœur pourri » les arcanes réels de notre volonté et d’en tirer les conséquences pratiques. On connaît la formule supérieurement imbécile de l’Armée des Neutres : « Dansons vite avant l’apocalypse » (1). Contre ces lecteurs de Sofa qui refusent de sortir du « royaume du relativisme absolu où il fait si bon d’être cool », nous affirmons qu’il est grand temps de se compromettre. L’urgence est donc de dessiner une cartographie hiérarchisée des adversaires et de l’exposer à chaque instant, dans ses écrits et dans la rue. Qu’importe, ensuite, le nom générique de cet ennemi désigné ; pour certains, ce sera « l’univers néo-balzacien issu des isoloirs municipaux, des palais de la Bourse et des séances de brain-storming » ; pour d’autres, « le fascisme islamique » ou « l’Empire néo-sécuritaire » ou encore « la nécrose mystique »… Pour le moment, il importe de vomir les Neutres.

Vous me demandez comment j’ai recruté ce barnum. Disons qu’il y a les amis de longue date, les compagnons de route de Cancer ! dont la présence s’imposait d’autorité, puis ceux, tels Pierre Jourde, Alina Reyes ou Jean-Pierre Théolier, qui nous ont spontanément envoyé leurs textes. Ces auteurs ne forment évidemment pas une communauté homogène, l’éloignement géographique et « idéologique » nous interdisant d’ailleurs toute réunion de rédaction ou je ne sais quelle autre assemblée. Pour découvrir précisément le parcours et la bibliographie de nos auteurs, ainsi que le sommaire, je vous invite à visiter notre site internet.

Louis Morel : Quelle finalité a pour vous cette revue au titre très sibyllin ?

Bruno Deniel-Laurent : Permettez-moi, premièrement, de revenir sur le titre : lorsque j’ai décidé, quelques jours après l’auto-dissolution de Cancer !, de fonder une nouvelle revue, j’ai demandé aux futurs rédacteurs de m’envoyer la liste de leurs propositions. TsimTsoûm aura pu s’appeler Knout ! ou Oui-Oui ! Eric Sardar avait proposé Tsunami ; mais c’était quelques jours avant que le raz-de-marée ne transforme l’Asie du Sud-Est en une vaste fosse commune ; les médias ayant lessivé ad nauseam le terme « Tsunami », il nous a semblé difficile de le prendre comme bannière. Maurice G. Dantec avait une autre idée –  Vive le Feu ! ou Le Feu – ce qui, au vu des « évènements de novembre », aurait pu être amusant. Mais j’ai finalement choisi, de façon absolument autocratique, d’imposer TsimTsoûm et ce pour une raison impérieuse qui justifie tout : ce titre m’est apparu dans un rêve et j’ai jugé, a posteriori, que cela sonnait bien. Puis cette notion kabbalistique de tsimtsoum, de contraction de l’Infini laissant un espace déserté – notre monde, nécessairement imparfait – a su rencontrer en nous une résonance familière.

TsimTsoûm, avant tout, est une revue littéraire illustrée, sans oripeaux journalistiques ou militants, évitant au maximum l’ornière culturelle ; il n’y a aucune note de lecture, on y parle ni cinéma, ni musique mais on fait la part belle aux récits et aux nouvelles. Le long entretien avec le Mufti de Marseille, encerclé par le texte de Laurent James, démontre que les interventions « polémiques et métaphysiques » occuperont un large espace dans les prochains numéros. Sans oser comparer TsimTsoûm à cet astre génial que fut Le Grand Jeu, il est évident que les revues littéraires, au-delà de leur tirage confidentiel, irriguent puissamment les âmes, de façon bien plus prégnante que les magazines. Qui se souvient de Je sais tout, magazine « sociétal et culturel » des années folles ? A l’époque, Je sais tout tirait pourtant à cent fois plus d’exemplaires que Le Grand Jeu et incluait aussi les proses de quelques écrivains. Cette voie n’est pas la notre. Nous la laissons à ceux qui rêvent d’être prisonniers de  leurs annonceurs publicitaires et des gentils staliniens des NMPP.

(1) : Afin qu’il n’y ait aucun malentendu sur mes propos, on m’autorisera à éclairer certains passages de mon entretien, notamment celui qui pourrait laisser sous-entendre que je considère le magazine en ligne Ring comme représentatif de « l’Armée des Neutres ». Ceci n’est pas évidemment pas mon propos : quelque que soit le regard que l'on porte sur ce webzine, force est de reconnaitre qu' en accueillant Renaud Camus, Maurice G. Dantec, Jean-Louis Costes, Laurent James, Alexandre Del Valle et quelques autres auteurs épinglés, à un moment ou un autre, par la bien-pensance moralisatrice, Ring prouve, au contraire, qu’il ne craint pas de s’engager dans la voie périlleuse du combat d'idées. Le slogan « Dansons vite avant l’apocalypse », dont je pensais qu’il avait quitté depuis longtemps la bannière de Ring, est une phrase extraite d’un texte, naguère publié dans la revue Cancer !, qui résume à elle seule, à mon sens, la vacuité pétocharde d’une génération de trentenaires régressifs. Elle fut imposée comme slogan du magazine Ring lorsque l’auteur de cette phrase en assurait la charge de rédacteur en chef, en septembre 2004 : à cette époque, la volonté de respectabilité de ce rédacteur en chef était telle que ce dernier allait jusqu’à refuser les interventions d’un écrivain de génie, Jean-Louis Costes, jugé trop « bushiste » par quelques sous-pigistes. Ring, depuis cette époque, a Dieu merci choisi une autre voie : celle de l'engagement. Je m’étonne, par contre, que l’actuelle rédaction en chef de Ring conserve ce « slogan », en contradiction avec ses engagements furibards. 



L'évènement revuistique de l'année !

par Jean-Jacques Nuel

texte publié sur le blog littéraire L'Annexe - décembre 2005

 

Après avoir attendu sa parution plusieurs mois, et être allé trois fois à l’étonnante librairie-galerie Le Bal des Ardents (17 rue Neuve, 69001 Lyon), j’ai enfin pu découvrir le numéro inaugural de la revue TsimTsoûm. Ce nouveau magazine semestriel succède à feu Cancer !, et est dirigé comme le précédent par Laurent James et Bruno Deniel-Laurent (le troisième comparse, Johann Cariou, ayant fait défection au passage). Au sommaire, un entretien passionnant de Laurent James avec Soheib Bencheikh sur l’Islam, une descente de Ubu Sollers par Jourde, de beaux textes de Sarah Vajda, Dominique Zardi, des pages anciennes mais actuelles de Bloy et Cravan, un texte roboratif de Costes sur Genet, des récits et nouvelles dont un «Guevara dans la brume» de Laurent Schang…
Anti-gauchiste, anti-droite et anticipateur, c’est la bonne surprise de l’hiver.




"Tsimtsoûm, numéro premier"

par Juan Asensio

texte publié sur le site du STALKER - décembre 2005

 

Pourquoi ne pas le dire ? J’avais bien des doutes sur l’intérêt même de faire paraître Tsimtsoûm, née des cendres de Cancer !, célèbre revue disparue moins des suites d’une longue mais imparable dévoration cancérigène que sabordée par la défection brutale (j’employai un mot plus lourd, celui de trahison) de Johann Cariou, son âme la plus faible, je veux dire impressionnable, comme Gollum l'est par le célèbre Anneau maléfique. Disons que m’inquiétait le ton détaché, presque lointain, avec lequel Bruno Deniel-Laurent, fixant déjà, me semblait-il, l’horizon asiatique de ses prochains périples, évoquait la parution, d’ailleurs sans cesse procrastinée, de sa nouvelle revue. Il faut pourtant lire dans ce premier numéro de Tsimtsoûm, dont la maquette aussi criarde qu'un poteau de couleurs ne décevra pas les amateurs de feu Cancer !, il faut lire, de toute urgence, le texte qu’a écrit Laurent James en guise de commentaire à son entretien, passionnant, avec Soheib Bencheikh. Enfin ! ai-je failli m'exclamer en lisant ce long texte. Enfin un auteur qui ne nous filtre point la tisane consensuelle de l'explication des récentes émeutes par la misère socio-culturelle et le blues de la racaille. Enfin un auteur extrême et juste si je puis dire, admirablement impartial en raison même de son extrémisme absolu, de son extrémisme qui lui vient de l'unique considération de l'absolu dont aucun de ces sociologues forcément relativistes et prétendument impartiaux ne tiendront jamais compte. Enfin un auteur capable d’exprimer ma conviction la plus inébranlable (et qui se dit ici ou là, de façon à peine voilée…), conviction qui, dans sa crudité apocalyptique, s’écrit en lettres capitales : l’Occident vendu aux puissances de l’argent, donc du spectacle (à moins que ce ne soit l’inverse), s’il doit renaître, devra d’abord passer par le feu purificateur de l'Ennemi. Quel Ennemi ? En voyez-vous, même, un seul ayant le dixième de la grandeur de l’Islam ? Pas moi. Ce sera donc l'Islam qui signifiera notre perte, notre renaissance par la perte.

James le constate avec la simplicité enfantine du bourreau et cette simplicité truande est, elle-même, jouissance assassine : «l’Islâm est aujourd’hui l’unique puissance capable de s’opposer à l’univers néo-balzacien issu des isoloirs municipaux, des palais de la Bourse et des séances de brain-storming.» Et de continuer : «S’il existe une autre force, il lui reste à s’actualiser : c’est évidemment la Parole du Christ». Non point morte, pas même terrassée mais simplement oubliée, et oubliée, d’abord, par les chrétiens eux-mêmes car, de «brandon fumeux qu’elle est devenue après vingt siècles de civilisation renversée [Bloy, Chesterton et Bernanos ne sont évidemment pas loin…], où la perte de l’état de grâce liée à l’apparition de l’individualisme social et l’invention simultanée de l’universalité menèrent à l’atomisation généralisée, cette Parole n’attend que des hommes de bonne volonté pour la réactiver par l’Eau et par le Feu». Laurent James, comme prétendait le faire Marc-Édouard Nabe (avec bien peu de réussite à mes yeux) enfonce le clou un peu plus profond dans la prunelle de celui qu’il appelle l’Aveugle, id est, l’homme d’Occident, déclarant : «c’est bien l’Occident, et lui seul, qui […] est le seul fautif. C’est en cela que je considère tout athée […] comme directement responsable, non seulement de l’absence de vie intérieure en Occident, mais également du trop-plein de cruauté jaillissant de l’arme du Musulman qui saisit sa chance pour établir la Loi d’Allah sur une partie de la planète». Croyez-vous, alors, que James va témoigner sa sympathie à l’ennemi naturel du gauchiste vilipendé, le petit droitier (parfois il est droiturier, surtout lorsque le danger se rapproche de ses fesses consensuelles) confit dans le même confort que le gauchiste ne fait que mine de refuser ? Ce serait mal connaître l’auteur, qui écrit : «Considérer que le gauchisme et l’Islâm sont deux indices matriciels d’un même vecteur de force historique, en gros celui qui vise à néantiser l’Occident […], est une très grave erreur» puisque c’est bel et bien la «rage rationnelle du matérialisme antitranscendantal qui a dévissé le socle européen, laquelle est beaucoup plus vieille que la Révolution Française !». Les racistes à la petite semaine en seront pour leurs frais, James leur affirmant qu’il ne voit guère de différence tangible, manifeste, entre droite et gauche, droite se diluant à gauche et gauche lorgnant sans le dire sur bien des thèmes chers à son irréductible ennemi politique, pardon, aujourd’hui, salonnard.

De l’entretien proprement dit avec Bencheikh, je n’écrirai rien ou presque, laissant au lecteur le soin de goûter la beauté de plusieurs des thématiques évoquées, comme celle du «Livre archétype, hors-temps», appelé par Bencheikh «la Table gardée», matrice incrée du Coran.

La poigne est tout aussi ferme même si le crochet, sous la plume de Jourde, est d’une ampleur moindre. Disons que, fidèle à son habitude ou à son eczéma, Pierre Jourde, avec la truculence qu’on lui connaît, se moque avec une saine méchanceté du Petit Père du peuple de Saint-Germain, Philippe Sollers ainsi que de ses habituels bouffons, Meyronnis, Haenel et Josyane Savigneau, que tout le monde croyait exilée en quelque contrée, sans doute la Laponie extérieure, plus à même de goûter son génie littéraire, certes conservé, pour l’appétit de générations de manchots, par l’antique procédé du salage. Jourde n’a dès lors de cesse de stigmatiser les constantes poussées de fièvre collusionniste entre ces quatre, moquant le style des intéressés par le plus facile et efficace des procédés, la citation. Qu’on en juge : «Il n’y a pas cinq sens; il y en a mille – il y en a autant qu’il y a de corps en vous. Et lorsque vous entrez dans ce qui s’ouvre d’une œuvre d’art, vous avez mille corps, des centaines d’oreilles.» De qui est cette phrase ? Je l’ai lue deux fois (pas plus) et je suis parti d’un grand rire, pensant que je l’avais déjà vue un bon millier de fois au moins, à la virgule près, sous la plume ovarienne d’Alinartiste. Mais non, cette phrase ridicule est bien de Haenel, même si cet admirable phénomène de parenté homozygote ou de palilalie prouve, sans conteste, la réalité de l’interchangeabilité des mérites, voire des identités, qui s’opère dans le monde versicolore où les imbéciles échangent, contents d'eux-mêmes, des signaux avertissant leurs congénères de leur indéfectible présence. Quoi qu’il en soit, les connaisseurs, si l'espèce existe qui collectionne les éphémères reyno-meyroniens, admettront sans mal que cette phrase ridicule aurait pu être signée et contresignée par l’une des plumes de Tsimtsoûm, Alina Reyes justement, qui jamais ne s’est privée d’étaler semblable marmelade rose sur des tartines beurrées de sotte complaisance. Alina qui d’ailleurs éprouve toutes les peines du monde à retenir son naturel papillonnant, je veux parler de l’épanchement inconsistant, on en jugera par l’admirable banalité concluant son propre article, lui-même invertébré : «Le roman est, ou doit être, le poème d’aujourd’hui, la langue nouvelle qui, remontant de la fosse de Babel, nous révèle ce que sans le savoir nous sommes en train de vivre, fantasmer, et risquer.» Ah bon ? Qui pourrait contester le bon sens de cette cruche alinade ? Allez, vite, passons de l’écrivaine à l’écrivain, une femme bien sûr, Sarah Vajda, dont je n’ai lu que tout récemment, à ma grande honte je le confesse, ses deux biographies consacrées à Barrès et Hallier. L’avantage de lire Sarah Vajda est que, quel que soit le sujet, peu importe (et le sujet de son article est, réellement, sans aucune importance…), une écriture y vit, s’y anime et, souvent, entre en ébullition, comme dans ce passage, où Sarah égratigne ses «camarades droitiers» n’ayant rien compris selon elle à Deleuze, Foucault et son cher Barthes : «Cette volition en des temps si troublés où chacun se retranche dans un camp ou l’autre mérite châtiment, ce qui devrait unir désunit et il semble qu’ad libitum, artistes et intellectuels, sans parler du petit prolétariat de l’esprit qu’on nomme journalistes, la séparation, l’écart irréductible soit vanté». Fort heureusement oui, chère Sarah car, pour reprendre telle conversation ancienne avec vous laissée en jachère, je ne vois, dans ces auteurs, que des occasions, certes parfois remarquables, sur telle ou telle question, de souligner la justesse de leurs analyses, ajoutant que je ne place tout de même point, pour ce que j’ai lu d’eux, Foucault et Deleuze sur le même tabouret de nains sur lequel j’ai le plus grand plaisir à asseoir le petit Barthes qui, décidément, n’a sa vie entière (contrairement à ce qu'en pense Compagnon dans ses Antimodernes) touillé que le même pot de banalités érudites.

Quoi d'autre ? Sarah Vajda dialoguant avec l'altier, le superbe Guy Dupré («il demeurera le lettré qui, au chevet d'un pays défunt, en dessine pour jamais l'agonie et la cartographie» écrit Vajda, elle-même hantée par la sénescence, elle-même lettrée au chevet de la France), Costes déféquant avec jovialité, c'est sa coutume qu'on ne lui reprochera point cette fois, sur le surestimé Jean Genet qui naguère mérita les honneurs d'un Éric Marty, Laurent Schang encore, doué comme toujours et enfin le jeune et talentueux peintre (il existe aussi, paraît-il, un marin éponyme dont je ne sais strictement rien...) Laurent Pellecuer présenté par Laurent James, dont je reproduis (avec l'autorisation déjà lointaine de l'intéressé), un autoportrait.

Je profite du signalement de l'étrange objet qu'est Tsimtsoûm pour évoquer une non moins talentueuse équipe menée par Benoît Virot, celle du Nouvel Attila, dont les proses bizarres, coruscantes, parfois trop visiblement décadentes (ce qui nous vaut alors quelque affectation stylistique), vrombissent d'un amour de la littérature méprisée, celle qui fut le pain noir quotidien d'auteurs obscurs ou complètement oubliés. Dans cette revue à la maquette surchargée, agressive quoique moins fastidieuse à lire que celle de Tsimtsoûm, quelques solides détestations aussi, ce qui nous rassure. En tous les cas, le nom du cher Gadenne, au sommaire du premier numéro (nous en sommes déjà au troisième), est un fait suffisamment rare pour qu'il mérite d'être signalé.

Une autre revue me demanderez-vous, puisque me voici promu amateur de ces étranges animaux que sont les revues littéraires, dont les plus sincères seulement sont aussi, bizarrement, les plus éphémères, donc les plus intéressantes ? Voyons, j'ai déjà évoqué Nunc, je ne vois rien d'autre... Ah, j'y suis, ne me dites rien de plus : La presse littéraire, pas vrai ? Voyons mais, d'abord, une question impertinente : quel sens donner à ce mot de presse je vous prie ? Non, ne me dites rien, j'ai trouvé : il s'agit n'est-ce pas de ce mécanisme savant qui, à l'aide d'un effort minime, permet d'exercer une pression considérable ? Je vois parfaitement l'effort minime dont il s'agit mais, grands dieux, de quelle pression considérable parlons-nous ? Tout de même pas celle qui nous fait gicler, à gros bouillons gluants, l'huile grasse, voire lourde (on parle alors de goudron) de quelque critique digne de Coluche, si ?

 




"La revue TsimTsoûm enfin parue"

par Fabrice Trochet

texte publié sur LE GRAIN DE SABLE - décembre 2005

Le N°1 de TsimTsoûm sous-titré Contradiction du domaine de la lutte  est enfin paru. Nul ne sera déçu. C’est un bel objet : superbe maquette, contenu toujours aussi insolent, ironique, explosif que l’ancienne revue Cancer ! mais des textes de plus grande qualité et plus cohérent. Rien à jeter !

 Entretien passionnant avec SOHEIB BENCHEIKH  recteur de la Mosquée de Marseille  «ce théologien d ‘un islam introuvable» accusé d’être un réformateur. A la première question de Laurent James celui-ci lui réponds sans langue de bois  :  « Ecoutez, pour être plus  plus clair et précis, depuis quelques années nous voyons en France entrer en scène une communauté musulmane, en partie mue par  une sorte de radicalisation qui se manifeste à  travers une religiosité superficielle, laquelle apparaît comme une liste interminable d’interdits et d'obligations sans aucune profondeur spirituelle ou envergure philosophique. Tout simplement parce que l'Islam traduit chez ces  personnes, notamment les jeunes, un malaise d'ordre social. Personnellement, je ne suis  pas un politique, et je ne revendique aucune représentativité. J'ai des convictions, j’ai mon idée à moi de l'Islam et de son adaptation : je le dis haut et fort, quel que soit le risque. Je  ne cherche pas à plaire. Je sème des graines mais je ne cherche pas à récolter des fruits.» Suit un très beau  texte sur l’islâm , les gauchistes écrit  dans une langue de feu par Laurent James.

Pierre Jourde  signe  une critique savoureuse et pleine de punch  qui démystifie Sollers et ses acolytes de la revue Ligne de risque. Costes m’a admirablement surpris par son papier sur Genet. Alina Reyes nous offre un texte lumineux sur la littérature. Cette revue m’a permis de découvrir l’ écrivain Guy Dupré grâce à un excellent entretien mené par Sarah Vadja. Celle-ci y est très présente dans ce numéro avec deux autres textes.

Une réussite. Y figure aussi  dans  ce numéro  très agréable : des nouvelles, un texte de Cravan, un journal aléatoire...Tout cela dans une certaine unité, une certaine dimension spirituelle d’où le titre : TsimTsoûm.